Le Temps, 14.1.2004

«Ce n'est pas un lieu propice aux parties de bras de fer»
Comment s'opérera l'entrée au Conseil fédéral de deux personnalités aussi marquées que Christoph Blocher et Hans-Rudolf Merz? L'esprit de concordance continuera-t-il à régner au sein
de l'exécutif? Interview.
Propos recueillis par Etienne Dubuis
Le politologue Andreas Ladner, professeur assistant en sciences politiques à l'Université de Berne, analyse la nouvelle donne politique.

Le Temps: Comment se caractérise le nouveau Conseil fédéral?

Andreas Ladner: Le gouvernement a probablement aujourd'hui davantage de fortes personnalités. Il réunit de nouvelles figures qui défendent de notoriété publique des lignes politiques prononcées, ce qui n'était pas le cas avant. Ce sont d'ex-parlementaires qui se sont battus pour leurs idées, pour leur parti, et non d'anciens membres d'exécutifs habitués aux négociations et aux compromis. Le nouveau Conseil fédéral est aussi plus du côté de l'économie et moins du social.

– Est-il plus hétérogène que le précédent?

– Dans un sens, oui, puisque le centre est devenu plus faible et que les deux ailes sont plus éloignées qu'auparavant. Mais le nouveau Conseil fédéral compte parallèlement, à droite, une majorité plus homogène.

– La tâche ne sera pas facile pour le président de la Confédération, Joseph Deiss...

– Il est important dans ce contexte que le président soit un homme du centre, capable de bâtir des ponts entre la droite et la gauche, un homme capable de réduire les conflits. Le fait qu'il soit issu du plus faible des partis gouvernementaux ne me paraît pas un problème dans l'état actuel de notre système politique. C'est sa personnalité qui importera.

– Le tandem Blocher-Merz risque-t-il de dominer le Conseil fédéral?

– Il n'est jamais bon qu'un exécutif de ce genre soit dominé par une ou deux personnalités. Dans notre système de concordance, il ne s'agit même pas, dans l'idéal, de réunir des majorités, mais le plus souvent possible de trouver davantage que cela. Il faut dès lors compter sur la sagesse politique des intéressés pour éviter une rupture d'équilibre. Certes, la droite se trouve en position de force, mais Christoph Blocher et Hans-Rudolf Merz connaissent parfaitement la logique de nos institutions et savent qu'elles ne sont guère compatibles avec des parties de bras de fer. Tout conseiller fédéral qui veut bâtir sur le long terme est dans l'obligation de coopérer avec ses collègues.

– Quel sera le rôle de Pascal Couchepin, le président de la Confédération en l'an 2003? Jouera-t-il les hommes providentiels du centre? Se situera-t-il clairement dans le camp de la droite?

– Tous les conseillers fédéraux auront intérêt à jouer la carte des arguments, et non celle des partis. Donc, l'essentiel sera leur capacité à trouver des solutions crédibles aux grands problèmes de l'heure, ainsi que leur aptitude personnelle à convaincre les autres.

– Les deux représentants du Parti socialiste seront plus isolés que par le passé au sein du gouvernement. Leur situation sera-t-elle supportable longtemps?

– Leur situation a mal tourné, c'est sûr. Ils connaissaient forcément une position plus avantageuse au sein d'un exécutif abritant deux démocrates-chrétiens. Maintenant, c'est à eux et à leur parti de voir s'ils doivent rester au Conseil fédéral ou le quitter. C'est l'expérience qui les attend. Ils doivent se fixer une limite et agir en conséquence. A mon avis cependant, ils disposent encore d'une marge de manœuvre. Certains des principaux dossiers à venir ne susciteront pas une confrontation gauche-droite traditionnelle, avec une gauche étatique et une droite économique classique. L'UDC ne représente pas seulement les milieux économiques. Par le passé, elle a toujours soutenu des solutions qui préservaient certains secteurs, notamment l'agriculture. On pourrait parler aussi des personnes âgées qui font partie de sa clientèle. Sans parler de toute une gamme de commerçants qui n'ont pas intérêt à voir triompher le libre marché.

– Ce Conseil fédéral va-t-il bien fonctionner?

– A l'occasion des dernières élections, on a beaucoup parlé de l'appétit de pouvoir de tel ou tel politicien et des rivalités personnelles. Mais, pour moi, là n'est pas la question. Il est du devoir des conseillers fédéraux de s'entendre. Chacun savait bien ce qui l'attendait: travailler au sein d'un collège où nul ne pourrait choisir ses camarades.
 

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